Crédit photo : Pascale Thérien / La Luz Portraits
À 68 ans, la femme d’affaires, conseillère stratégique, conférencière et auteure Danièle Henkel ne manque ni d’idées, ni d’opinions, ni d’énergie. Nommée récemment ambassadrice de la francophonie économique du Conseil du patronat du Québec, elle met d’ailleurs un point d’honneur à faire part aux autres de son expérience d’entrepreneure et de ses réflexions sur l’entrepreneuriat, notamment sa version féminine, et d’autres sujets pertinents. « Un privilège, déclare-t-elle d’emblée, qui lui permet de continuer d’inspirer ». Rencontre avec une grande dame dont la gentillesse et la générosité n’ont d’égale que la sagesse.
Une femme déterminée
C’est au milieu des années 1990 que Danièle Henkel a l’idée de lancer un gant d’exfoliation – le gant Renaissance – inspiré des rituels du hammam auxquels sa maman l’a initiée petite, dans l’Algérie où elle a grandi.
« Lorsque j’ai commencé ma carrière d’entrepreneure, il y a près de trente ans, les outils et l’accessibilité, que ce soit à des mentors, à des programmes spécifiques pour les femmes, à de l’accompagnement ou à du financement, étaient excessivement limités. On n’avait pas ces privilèges », explique la femme d’affaires.
Mère de quatre enfants et aidante naturelle pour sa propre mère malade qui habite avec la famille, elle doit alors faire preuve d’une détermination et d’une force de caractère hors du commun afin de mener son entreprise vers le succès. « L’entrée dans l’entrepreneuriat [à cette époque], c’était un chemin ardu, où il fallait véritablement avoir des reins solides, un caractère extrêmement fort, et être certain, aussi, que c’était notre vocation : un choix que l’on allait soutenir envers et contre tout. »
Dotée de ces qualités, la femme d’affaires développe et fait prospérer son entreprise, qui est toujours florissante aujourd’hui. Mais en 2012, une occasion exceptionnelle se présente, qui va non seulement enrichir sa propre trajectoire, mais également servir de catalyseur pour l’entrepreneuriat des femmes au Québec.
L’œil de la dragonne
Grâce à l’émission Dans l’œil du dragon, les Québécois découvrent la sincérité, le naturel et la personnalité éclatante de Danièle Henkel, qui conquit le cœur des téléspectateurs et devient une figure médiatique importante de l’entrepreneuriat au Québec. De plus, comme elle est la seule femme à s’asseoir dans un siège d’investisseur durant les cinq premières saisons de l’émission, il semble que sa seule présence participe grandement à l’engouement pour la création d’entreprise qui gagne les Québécoises au cours de ces mêmes années.
« Avec cette émission, on a probablement mieux pris conscience qu’une femme qui est maman, qui est épouse, qui a une vie en parallèle – c’est-à-dire autre qu’entrepreneure ou professionnelle –, pouvait réussir aussi en affaires, tout en restant la femme qu’elle est : humaine, émotive, joyeuse, maman. »
Des femmes – y compris des jeunes – découvrent alors leur potentiel et se disent : « C’est possible pour moi aussi. »
Progression et régression
Avec cet enthousiasme arrivent des besoins – en financement, en formation, et pour toutes les activités liées à l’encadrement et au soutien des femmes qui désirent se lancer en affaires. Peu à peu, des associations, des organisations, des programmes gouvernementaux sont mis en place pour accompagner ces nouvelles conquérantes.
« Maintenant. Est-ce que ça allait être facile? » L’entrepreneure tient à préciser : « Mais bien sûr que non! Rien n’est facile. Si l’on choisit d’être une professionnelle de haut niveau dans une organisation, ce n’est pas facile non plus. Il faut faire sa place, et démontrer. On dirait qu’on a toujours besoin de démontrer plus que d’autres nos compétences et notre capacité de livrer. Et c’est très dommage. Et si je reviens en 2024, je dirais que nous avons encore énormément de travail à faire. Nous sommes loin de la coupe aux lèvres. »
Car les aléas liés à la pandémie ont freiné l’élan entrepreneurial québécois, et comme cela arrive souvent, les éléments les plus fragiles du système sont ceux qui ont écopé le plus : « De 2020 à 2023, il y a réellement eu une régression au niveau du statut des femmes, que ce soit sur le plan professionnel ou entrepreneurial. Et ça, c’est très grave. [Aujourd’hui], il y a encore des idées reçues et des préjugés, particulièrement pour les femmes et les personnes issues de la diversité. “Oui, mais elle a des enfants, elle va tomber enceinte, elle n’a pas vraiment d’actifs.” On demande souvent à une femme quelles sont ses réalisations. Mais attends, donnons-lui une chance! Regardons quel type de femme c’est, le domaine dans lequel elle se lance! »
Une invitation aux risques
Pour Danièle Henkel, les principaux défis à surmonter aujourd’hui pour les femmes entrepreneures concernent d’abord le financement – le nerf de la guerre –, puis l’accompagnement. Un accompagnement qui devrait d’ailleurs être réalisé sur le long terme, étant donné l’instabilité géopolitique mondiale qui empêche de faire des prévisions sur plusieurs années et oblige à faire preuve d’agilité et de flexibilité.
La femme d’affaires invite donc les institutions – banques, prêteurs, gouvernements – à oser davantage afin de stimuler la création d’entreprises.
« Au Québec, nous avons quand même une avancée qui est notoire et notable, après des décisions que l’on a prises au sujet de la diversité et des femmes. C’est bien. Mais ça doit continuer d’évoluer, et non pas régresser. Je crois que ce qui nous manque, en tant que société, c’est de vouloir prendre plus de risque avec et pour nos entrepreneurs. Il le faut, parce que sans cette conscience de devoir prendre des risques, il n’y aura pas d’évolution. »
Et pourquoi est-ce si important de posséder un bassin entrepreneurial en santé? « Si une société est riche et qu’elle est capable de soutenir des projets, de grands projets, c’est grâce aux taxes, aux impôts que les entrepreneurs payent. C’est aussi grâce à tous les salaires que l’on paye, donc aux emplois que l’on donne, parce que ces personnes qui sont employées payent aussi des taxes, des impôts, et consomment. C’est une chaîne normale, qui fait en sorte que notre société roule et se suffit à elle-même. Sans entrepreneurs, on est en perdition. »
Âgisme et effacement
Comme le sexisme, l’âgisme est susceptible d’influer sur la valeur que l’on attribue aux individus, qu’il s’agisse de les prendre au sérieux en tant qu’entrepreneurs ou simplement de les engager ou de les conserver comme employés. Quelles réflexions cet enjeu peut-il bien susciter chez la femme d’affaires de 68 ans? « L’âgisme est quelque chose de terrible. Parce que ça n’a rien à voir avec l’âge. Ça a tout à voir avec le regard que la société porte sur l’âge. »
Peinée « pour ceux et celles qui ont de la difficulté à se prononcer sur leur âge, Danièle Henkel se dit qu’on n’a rien compris, parce que c’est un chiffre sur lequel nous n’avons aucun contrôle. Nous allons vieillir, et le terme est très beau, parce que vieillir, pour moi, veut dire sagesse et expérience, gratitude, évolution : cette sagesse que nous avons et que la vie nous octroie au fil des jours, des mois et des années. C’est précieux, et j’en suis reconnaissante. »
Après avoir souligné la responsabilité des personnes de prendre soin de leur corps et de leur esprit pour vieillir en santé, la femme d’affaires interpelle rapidement les médias québécois qui valorisent la jeunesse au détriment des personnes plus âgées, qui forment pourtant plus de 20 % de la population (65 ans et plus), et dont le poids démographique va continuer de croître : « En voyez-vous, à la télévision, des animateurs et des animatrices, des commentateurs et des commentatrices, des chroniqueurs et des chroniqueuses, qui ont plus de 50 ans? Et qui sont beaux, belles, présentables, sages, expérimentés? Non. N.O.N. »
Un souhait pour l’avenir
À cette société qui veut toujours « attirer les jeunes » et les séduire, la conférencière oppose « une société éduquée, capable de faire face à des défis et de savoir respecter l’autre. Je crois sincèrement que nous avons, dans notre génération de 60 ans et plus, tellement de richesses qu’on a laissées de côté. Quelle grande tristesse pour une société de ne pas considérer ces personnes qui ont passé toute une vie à apprendre, à partager, et à être contributeur de cette société, de ne pas leur dire “Qu’est-ce que tu peux nous apprendre de plus?” »
Son souhait? Une société capable de méritocratie et qui pourrait compter sur les compétences et l’expérience des plus vieilles générations « pour élever les connaissances de ces jeunes-là, qui ont peut-être un savoir-faire qui est différent, en technologies, etc., mais qui n’ont peut-être pas encore ce fameux savoir-être et cette expérience de vie qui vont venir complémenter [leurs aptitudes] lorsqu’il y a des défis importants. »
Et les défis ne manqueront pas dans les années à venir. L’entrepreneure mentionne notamment la mondialisation, qui entraînera des bouleversements économiques, les difficultés de la chaîne d’approvisionnement et l’avènement de l’intelligence artificielle. « Comment on prépare cette jeunesse? On doit la préparer avec beaucoup de sagesse. »
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