Entrevue avec la professeure Julie Desrosiers

La professeure Julie Desrosiers a fait paraître en août 2021 Y a comme un vide en moi, un ouvrage dans lequel l’ergothérapeute s’adresse à « toute personne qui reconnaît que son sentiment de vide affecte sa vie de tous les jours », et à toutes celles qui se questionnent à propos d’un proche, peut-être aux prises avec des problèmes de dépendance.

Le sentiment de vide

Présenté comme un sentiment complexe vécu de façon variable selon les personnes, le sentiment de vide intérieur est décrit dans le livre comme pouvant donner « l’impression qu’une partie de soi est manquante ou incomplète, combinée avec celle d’être coupé de soi et de ne rien ressentir. Ce sentiment peut aussi s’accompagner de l’impression d’être coupé ou déconnecté des autres. » C’est un sentiment qui touche particulièrement quatre types de personnalités dépeintes dans le livre – l’indispensable, l’entreprenant déterminé, l’indestructible et le fascinant –, mais que beaucoup peuvent éprouver à des degrés divers à un moment ou à un autre de leur vie.

L’impact de la pandémie

Selon Julie Desrosiers, le contexte de la pandémie a eu un impact important chez les gens qui ressentent ce vide, ce qui l’a motivée à publier ce guide d’autogestion. « Je pense que beaucoup de personnes ont appris à vivre avec un vide intérieur. Elles ont développé des stratégies d’adaptation et ne sont pas trop souffrantes par rapport à ça. Comme l’indispensable, une des personnalités que j’ai décrites. Prenez par exemple une infirmière, qui en plus fait du bénévolat le soir, qui a des animaux, des enfants, des petits-enfants et qui s’occupe de ses parents âgés. Demandez-lui si elle ressent un vide intérieur, elle vous répondra non. Mais en fait, c’est qu’elle a mis plein de choses en place pour ne pas être confrontée à son vide. Et c’est ce qui a fait échec quand on s’est retrouvé en confinement. Toutes ces stratégies-là, eh bien, elles ne fonctionnaient plus. »

Si le sentiment de vide intérieur prend racine dans l’enfance et la construction de la personnalité, il est tout à fait possible de le gérer pendant longtemps, souvent inconsciemment, grâce à divers mécanismes. Mais c’est justement lorsqu’une épreuve survient, lorsque « les mécanismes d’adaptation de la personne sont mobilisés au-delà de leur capacité », que ceux-ci vont s’effondrer et laisser place au vide, avec ce que ça comporte de douleur et de honte. « C’est face à l’épreuve que ça va revenir, souligne la professeure. La façon dont les gens réagissent à l’épreuve, ça en dit beaucoup sur leur personnalité. »

Les comportements

Ce n’est pas un hasard si les dépendances de toutes sortes (aux achats, aux réseaux sociaux, à l’alcool, aux autres personnes, etc.) sont associées au sentiment de vide intérieur.

Les personnes qui ressentent ce vide sont particulièrement sensibles aux situations de solitude et d’intimité. Dans l’un et l’autre cas, les dépendances jouent un rôle de remplissage qui vise à éloigner ou endormir la douleur causée par l’impression de manque.

Miser sur les forces

Avec Y a comme un vide en moi, Julie Desrosiers a voulu faire plus que de permettre aux gens de comprendre le sentiment de vide, son origine et ses manifestations. Elle s’est également donné comme mission d’orienter les actions à poser si l’on souhaite travailler sur son vide intérieur, notamment pour mieux affronter les moments difficiles.

Sa proposition? Inviter les gens à miser sur leurs forces. « Ce qui est unique dans ce livre, c’est qu’on se demande quelles sont les forces de la personne. En se reposant là-dessus, en mobilisant ça, on aide celle-ci à surmonter les épreuves. »

Elle donne l’exemple d’un monsieur d’un certain âge qui possède des traits narcissiques (entreprenant déterminé). Durant sa vie active, il a une entreprise prospère, du succès auprès des femmes, etc. Et comme sa vie se déroule bien, le terrain est moins propice à exposer ses traits plus problématiques. « Mais la retraite arrive, il n’a plus ses sources de valorisation, plus de regards posés sur lui, plus de possibilités de séduire les gens. Il peut alors devenir un narcissique bien détestable. » Mais placez ce monsieur à la tête d’un CA, et il pourrait faire un excellent travail. « Dans ce rôle, il va redevenir la personne super agréable qu’il a toujours été. Certaines personnalités sont faites pour être dans des positions de pouvoir. Elles ont besoin de lumière, et quand on leur en fournit, elles se donnent à 200 %. »

Bienveillance et reconnexion

La dernière partie de l’ouvrage traite de l’importance de pratiquer la bienveillance envers soi-même dans un processus de reconnexion à soi qui vise l’acceptation de soi. Mais elle rappelle également la portée d’un pendant à cette reconnexion à soi : la reconnexion aux autres.

Prenons une femme qui avait tendance à nouer des relations toxiques où « l’autre prend beaucoup de place et envahit l’espace interne de l’individu plus vulnérable ». Si elle tombe sur quelqu’un de bien qui l’aime correctement, « on peut même voir un style d’attachement qui change. Elle peut tout à coup en avoir un où elle se sent en sécurité. »

« La conclusion, c’est aussi qu’il faut faire attention à nos relations. Tout le monde mérite d’être aimé, mais de laisser entrer dans notre vie quelqu’un qui ne donne rien, qui est avare au niveau relationnel, ça peut laisser des traces, même sur le plan biologique. Alors c’est primordial de bien choisir nos amis, de bien choisir nos conjoints. »


Y a comme un vide en moi est publié chez Trécarré, et est en vente partout.