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Le Dr Alain Vadeboncoeur est sans doute l’un des médecins les plus connus au Québec. Régulièrement invité par les médias, l’urgentologue a été à la barre de l’émission Les Docteurs à Radio-Canada pendant plusieurs années. Depuis le 2 avril, on peut le voir dans Doc Vadeboncoeur contre-attaque !, une toute nouvelle émission diffusée sur ICI Explora qui présente différentes menaces auxquelles peut être exposé l’être humain et les stratégies déployées par les médecins et spécialistes pour les contrecarrer.
Le Dr Vadeboncoeur confie cependant que le concept de l’émission a changé en cours de route. Avant de porter sur la contre-attaque, les épisodes devaient être centrés sur la mort. Mais avec l’arrivée de la pandémie, qui a fait plus de 10 000 victimes au Québec, le vulgarisateur scientifique était d’avis que le moment était mal choisi pour explorer ce thème.
Coronavirus ou pas, le médecin d’urgence est régulièrement confronté à la mort dans le cadre de son travail. Comme pour plusieurs de ses collègues, son rapport à la mort a changé au fil des ans : « Quand tu es urgentologue, tu en vois beaucoup et ça finit par devenir quelque chose d’un peu plus normal. »
Lorsqu’un de ses patients décède, le médecin doit aussi aviser ses proches de la mauvaise nouvelle. Bien qu’il s’agisse d’un moment émotionnellement chargé, il n’y va jamais à reculons. « J’ai appris graduellement à considérer ce moment comme étant très important. Il faut s’y attarder et bien le faire », explique-t-il.
Comme une phobie
Même si la mort fait partie intégrante de la fiction, elle est devenue taboue dans notre société. Ce phénomène est toutefois assez récent, selon l’ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal.
En effet, il y a 130 ou 140 ans, le taux de mortalité infantile était plus élevé au Québec. La plupart des familles perdaient au moins un enfant. L’urgentologue donne en exemple le cas de son arrière-grand- père, médecin à la fin du 19e siècle. Sur ses dix enfants, six sont morts avant d’atteindre l’âge de cinq ans.
On a perdu l’habitude de voir des morts : il y a moins de morts et moins de monde qui meurt jeune. D’autre part, avec la médecine, les gens ont l’impression qu’on peut sauver tout le monde. Alors que ce n’est pas le cas.
De plus, lorsqu’une personne perdait la vie, son corps était exposé dans le salon, ce qui permettait aux gens d’avoir un contact direct avec la mort. « Aujourd’hui, ça se passe beaucoup dans des environnements très contrôlés, comme l’hôpital », ajoute-t-il.
Avec l’évolution des moeurs et de la médecine, la mort est graduellement sortie de notre quotidien, mais elle est n’est pas disparue pour autant. Pour certaines personnes, elle s’apparente maintenant à une phobie, croit l’urgentologue : moins on s’y expose et plus la peur augmente.
Alors, existe-t-il des trucs pour mieux se préparer à son dernier repos ? Selon le vulgarisateur scientifique, il n’y a pas de solution miracle, car cela dépend beaucoup de notre personnalité et de notre façon d’appréhender les problèmes. Toutefois, lire sur le sujet et en parler permet de réduire l’anxiété. « Il faut accepter le fait que ce n’est pas quelque chose qu’on doit garder à l’extérieur de notre pensée tout le temps », affirme-t-il.
Lui-même avoue avoir relativement bien intégré le concept à sa vie.
Apprendre à se laisser aller
Si les médecins ont habituellement une relation plus sereine avec la mort, l’urgentologue croit que ses confrères et consoeurs sont généralement difficiles à soigner : « Ce n’est pas très bon être un patient médecin. On confie nos hypothèses et nos plans en même temps que notre médecin. On est un peu en concurrence avec lui. »
Être patient implique une forme d’abandon, ce que le personnel médical a de la difficulté à faire.
« En 2001, j’ai été soigné par un de mes collègues. Il me trouvait assez insupportable, parce que je dirigeais moi-même mon épisode de soin à l’urgence », se rappelle-t-il.
Bien qu’il ne soit pas souvent malade, le Dr Vadeboncoeur a l’habitude d’élaborer des scénarios lorsqu’il présente des symptômes, un peu comme il le fait avec ses propres patients.
« Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement anxieux ou hypocondriaque, mais c’est clair que quand j’ai des symptômes significatifs, j’imagine les 5-6 scénarios possibles qui vont du pire au moins mauvais. »
Évidemment, lorsque cela est nécessaire, il n’hésite pas à consulter.
Comme dans un film
On se fait tous une petite idée de la Faucheuse, mais il semble que le cinéma et la littérature ne soient pas de bons modèles. Auteur de l’essai Les acteurs ne savent pas mourir, le Dr Vadeboncoeur a voulu, en 2014, briser le mythe de la mort grandiloquente.
« À la télé, il y a toujours quelque chose qui se passe à la fin, comme un grand discours. Ces choses-là arrivent assez rarement dans la réalité, à moins que les personnes soient parfaitement conscientes, mais c’est rare. »
Selon l’urgentologue, le problème viendrait du manque d’expérience des acteurs qui n’ont jamais rencontré la mort ou presque. S’ils sont très bons pour représenter les émotions de la vie courante comme la colère, ils peinent à incarner un personnage à l’agonie.
« Pour un comédien qui doit imiter la réalité avant tout, c’est difficile de partir de son expérience. C’est une question de savoir », déclare-t-il.
Vers l’immortalité
Depuis la nuit des temps, les humains rêvent d’être immortels. Si l’espérance de vie n’a cessé d’augmenter, nous sommes encore bien loin de l’immortalité.
Selon le Dr Vadeboncoeur, il y a une bonne raison pour laquelle nous ne vivons pas éternellement : la Terre ne pourrait tout simplement pas accueillir autant d’habitants.
« Si les êtres humains ne mouraient jamais, on ne serait même pas là pour en parler. Il y aurait un problème assez évident d’utilisation des ressources. »
Comme quoi, la mort n’a pas que de mauvais côtés !