La petite histoire raconte que c’est dans un taxi londonien – « ces grands taxis assez propices au vagabondage de l’imagination » – que Julien Clerc a eu l’idée de rependre, d’abord sur scène, puis sur disque, des chansons d’artistes qui ont marqué son enfance, son adolescence et sa carrière de multiples façons.

Le disque Les jours heureux donne l’occasion de plonger dans la mémoire musicale du chanteur, mais également de se remémorer avec lui des souvenirs de ses débuts, et quelques autres.

« Toutes ces chansons-là, elles coulent dans mes veines depuis que je suis petit. »

Julien Clerc avoue d’emblée qu’il est toujours à la recherche d’idées pour ses spectacles. Ce jour-là, dans son black cab, en observant Londres sous la pluie, une première chanson lui vient à l’esprit : Boom! de Charles Trenet. Alors qu’il la fredonne tout en laissant errer ses pensées, d’autres chansons d’une autre époque s’imposent à lui, sans qu’il sache trop quelles scènes aperçues par la vitre trempée de la voiture provoquent ces réminiscences. Résultat? Une fois à destination, ses chansons souvenirs se sont transformées en projet : « Pourquoi je ne reprendrais pas ces chansons que j’aime? »

Il s’agit au départ d’un projet scénique, où une partie du spectacle du compositeur-interprète sera consacré à « cette génération dorée de la chanson française, qui a directement précédé la nôtre, des artistes qui ont été les inspirateurs, on peut dire l’ADN – notre ADN, en tout cas –, de chansons françaises. » Mais, une fois les chansons prêtes à être présentées au public, l’idée d’en faire un album a germé.

Ses préférences à lui

Le choix des artistes est allé de soi : « Ce sont des artistes que j’ai connus enfant, puisqu’ils étaient les artistes préférés de ma mère, pour la plupart d’entre eux. Et quand je me suis mis à chanter moi-même, c’est-à-dire 20 ans, 15 ans après avoir commencé à les entendre, ils étaient encore en pleine carrière, et j’ai pu tous les rencontrer. » Une seule exception à cette affirmation : Piaf, dont la chanson Mon manège à moi s’est retrouvée sur l’album grâce à la version d’Yves Montand.

Sinon, les Trenet, Aznavour, Bécaud, Barbara, Ferré et Brel – présents sur l’album – ont tous fait partie de la vie de Julien Clerc, certains brièvement, d’autres de façon beaucoup plus marquée et marquante. « Pour les artistes, explique le chanteur, je savais qui je souhaitais voir figurer là. Puis après, les chansons, c’est le choix du cœur. » Il raconte ensuite que c’est un peu par essai-erreur qu’il découvre celles qui lui correspondent le mieux, et il ajoute, se moquant humblement de sa lucidité et de son honnêteté : « Je ne devrais pas dire ça, ce n’est pas très commercial, mais par définition, on ne fait pas mieux que le créateur. Il faut donc vraiment prendre ça comme un cadeau qu’on se fait et qu’on fait aux gens, aussi. Il faut que ça vous colle parfaitement. »

C’est sans doute un peu la raison pour laquelle l’artiste a choisi de ne pas réinterpréter ces œuvres à sa manière : « Je les ai tellement écoutées, tellement entendues et, pour certaines d’entre elles, vu chantées – vous comprenez, j’ai fait tellement de premières parties de Bécaud que je ferme les yeux et je le vois les faire. Toutes ces chansons-là, elles coulent dans mes veines depuis que je suis petit. » Parmi elles, For me formidable (Aznavour), Je reviens te chercher (Bécaud), Dis, quand reviendras-tu (Barbara), Comme à Ostende (Ferré) et La valse à mille temps (Brel).

Pas nostalgique, mais…

L’interprète de Ce n’est rien assure que Les jours heureux, malgré son titre évocateur, n’est pas une œuvre nostalgique. Bien sûr, ces chansons lui rappellent la période dans laquelle elles s’inscrivent, celle de sa préadolescence et de son adolescence, « un moment de la vie où l’avenir est grand ouvert, plein d’espérance et de rêve », et qui concorde également avec sa naissance en tant qu’artiste. Mais, alors que la nostalgie comporte une part de regret, impossible de lier ce sentiment au projet du chanteur : « Ce n’est pas du tout de la nostalgie. C’est juste, quand même, une constatation. Une constatation du temps qui passe, du temps qui est passé. »

L’interprète de Ce n’est rien assure que Les jours heureux, malgré son titre évocateur, n’est pas une œuvre nostalgique. Bien sûr, ces chansons lui rappellent la période dans laquelle elles s’inscrivent, celle de sa préadolescence et de son adolescence, « un moment de la vie où l’avenir est grand ouvert, plein d’espérance et de rêve », et qui concorde également avec sa naissance en tant qu’artiste. Mais, alors que la nostalgie comporte une part de regret, impossible de lier ce sentiment au projet du chanteur : « Ce n’est pas du tout de la nostalgie. C’est juste, quand même, une constatation. Une constatation du temps qui passe, du temps qui est passé. »

Julien Clerc
CRÉDIT PHOTO : LAURENT HUMBERT

Souvenirs, souvenirs

Sans vouloir trop en dévoiler – car il raconte certaines anecdotes dans son spectacle –, Julien Clerc accepte d’évoquer quelques souvenirs de cette époque. Notamment avec Gilbert Bécaud, qui l’a pris sous son aile dès ses débuts, et dont il a assuré la première partie à plusieurs reprises : « Il avait une telle énergie! C’est le principal truc que j’ai retenu de lui. Je le regardais travailler tous les soirs. Je prenais une chaise, et je me mettais là, à la limite de la scène, juste derrière le dernier pendrillon. Comme ça, je le voyais à dix mètres. Je le voyais faire son travail. Pour moi, ça a été très enrichissant. » Et même si le chanteur insiste pour dire qu’il n’adhérait pas à toutes les façons de faire de Bécaud, il lui donne raison sur un point : « Il disait toujours, ce qui compte, c’est l’entrée en scène et la sortie de scène. Alors, il soignait énormément ses entrées en scène, et les sorties de scène, alors là, il se régalait. Il adorait faire des rideaux, saluer, sortir, revenir, repartir… avant de rechanter. »

« Oui, bon, je suppose que si j’avais été en première partie de Brel, j’aurais vu complètement autre chose », poursuit l’interprète de Mélissa, faisant allusion au fait que le Belge n’accordait pas de rappels à ses auditoires. Son esprit prend alors un raccourci : « Aznavour n’aimait pas beaucoup les rappels non plus, et même, il n’aimait pas qu’on chante en même temps [que lui]. Je l’ai entendu dire “Non. Non, non. On ne chante pas. C’est moi qui chante.” (Il sourit.) Alors que Bécaud adorait faire chanter le public. Il y avait deux ou trois chansons qui étaient des rendez-vous pour le public, dont L’important c’est la rose et Quand il est mort le poète. Il commençait, et la salle continuait toute seule. »

« Pour les artistes, explique le chanteur, je savais qui je souhaitais voir figurer là. Puis après, les chansons, c’est le choix du cœur. »

Un fan d’Yvon Deschamps

Dès 1969, un jeune Julien Clerc d’à peine 22 ans, surfant sur ses premiers succès de 68 en France, notamment avec La cavalerie, vient présenter un premier spectacle au Québec. Le chanteur garde de cette visite des images très vives et se souvient avec joie du choc culturel vécu, mais également de la richesse de cette culture, qui l’a immédiatement happé.

Dès leur descente d’avion, on amène Julien et sa mère, qui l’accompagne dans ce voyage, voir un spectacle d’Yvon Deschamps. « Moi, je ne savais pas que le joual existait. J’en étais resté au général de Gaulle. En plus, j’étais fils de gaulliste! Il y avait donc la très très fameuse conférence de presse où de Gaulle fait son numéro, où il raconte le voyage au Québec – c’est extrêmement drôle, comme conférence de presse –, et où il passe son temps à vous appeler les Français d’Amérique. Donc moi, j’arrivais et, en fait, je ne crois pas que j’avais compris que j’allais dans un pays étranger, si vous voulez. »

Deux jours plus tard, il retourne voir Yvon Deschamps « pour essayer de mieux saisir tout ce qui m’avait échappé, quand j’étais, en plus, en jet lag ». Et en rentrant en France, il se procure les disques de l’humoriste, dont il devient un admirateur.

Au cours de ce voyage, Julien Clerc rencontre également Louise Forestier et Robert Charlebois, qui est devenu un ami. « J’avais compris plein de choses, qui me plaisaient d’ailleurs. Ça a été un voyage, quand même, culturellement chargé. »

Julien Clerc
CRÉDIT PHOTO : LAURENT HUMBERT

« J’ai fait tellement de premières parties de Bécaud que je ferme les yeux et je le vois les faire. Toutes ces chansons-là, elles coulent dans mes veines depuis que je suis petit. »

Le retour

Durant de nombreuses années après ce premier voyage, le compositeur-interprète est beaucoup venu au Québec pour de longues tournées, « avec beaucoup de route, comme j’aime bien le faire. » Puis, des décisions de gérance l’ont peu à peu éloigné du public québécois, jusqu’à ce que le producteur Paul Dupont-Hébert le contacte, il y a environ quatre ans, et lui propose de le ramener sur la scène québécoise et de renouer avec son public d’ici.

Ce dernier aura d’ailleurs droit, en septembre et octobre prochain, au retour de Julien Clerc dans la province. Alors que ses derniers spectacles étaient présentés avec pianos et cordes, Les jours heureux est qualifié de « plus électrique », notamment en raison de la présence d’un orchestre avec piano, basse, batterie et guitare.

Et si le titre du spectacle renvoie directement à son dernier album hommage, son dernier disque de chansons originales paru en mai 2021, Terrien, est bien présent dans le tour de chant, tout comme les grandes chansons de son immense répertoire. Peut-être pour rappeler que des jours heureux, il en arrive constamment.

Les albums Les jours heureux et Terrien sont offerts partout.

Julien Clerc sera en tournée au Québec à l’automne 2022 avec son spectacle Les jours heureux. Pour les lieux et les dates, visitez billetterie.julienclerc.com.