Avec plus de 65 ans de présence artistique et médiatique sur toutes les plateformes, Louise Latraverse se passe aisément d’une longue présentation. Actrice, directrice artistique, metteuse en scène, animatrice, auteure, artiste visuelle et chroniqueuse, ses performances et œuvres professionnelles ont touché l’imaginaire et embelli le quotidien de plusieurs générations. À l’occasion de la tournée québécoise de son spectacle L’amour crisse, la comédienne invite les gens à venir redécouvrir sa vie, et à apprécier la leur.

Louise Latraverse a accordé de nombreuses entrevues au fil des années. Des entretiens au cours desquels elle a parlé de ses projets, mais où elle a également dévoilé quelques bouts de vie qui n’ont pas manqué de soulever l’intérêt du public. Notamment cette période à la fin des années 60 et au début des années 70 où elle fait la connaissance, aux États-Unis, d’Emmett Grogan – un digne porte-étendard de la contre-culture de l’époque –, qu’elle épouse. Sa vie d’alors et les rencontres qu’elle fait suscitent depuis toujours étonnement et curiosité. Bob Dylan, Janis Jolin, Allen Ginsberg et Andy Warhol figurent au nombre des personnalités marquantes dont elle croise le chemin.

Mais aujourd’hui, alors que l’interprète promène ses histoires et anecdotes sur les scènes du Québec, plus question de révéler à tout vent les tranches de vie qui l’ont façonnée. Elle convie plutôt les gens à venir les entendre de sa propre voix. « C’est pour ça que je fais un show! », s’exclame celle qui a refusé plus d’une fois de publier ses mémoires.

Des thèmes universels

Assurément, on n’embrasse pas une vie longue de 83 ans et une carrière qui en fait une vingtaine de moins en un spectacle d’une heure et demie. Sans dévoiler les détails de ses récits, Louise Latraverse explique que l’œuvre est truffée d’anecdotes, choisies pour leur portée universelle. « Je parle de choses que je pense qui peuvent intéresser les gens, qui concernent tout le monde. Comment on se sent devant certaines choses. Qu’est-ce qui change nos vies? Comment ça se fait qu’en faisant une affaire, ça nous amène à une autre affaire… »

« On vit tous la même chose dans la vie, hein? On a les mêmes sentiments, les mêmes peines. Ce sont simplement les circonstances qui sont différentes », rappelle l’artiste, pour qui il est essentiel d’insister sur un point : ce spectacle ne vise absolument pas à nourrir son ego. Son but n’est pas de dire « Je suis exceptionnelle. J’ai fait ceci et j’ai fait cela. ». « Il n’y a rien d’exceptionnel dans ma vie, assure la chroniqueuse. Ce qu’il y a d’exceptionnel, c’est le métier que je fais. Quand je viens parler sur scène, je veux parler à tout le monde qui est comme moi. Je suis juste un être humain qui vit des choses comme vous. Sauf que moi, mon métier, c’est d’être capable de les raconter. »

Crédit : Julie Artacho

Sacres et amour

Le titre du spectacle est bien entendu inspiré de la célèbre réplique lancée à France Beaudoin à l’émission En direct de l’univers au milieu de la pandémie de COVID-19. La question de l’animatrice? « De quoi la COVID ne viendra pas à bout? »

Louise Latraverse ne sait pas pourquoi, après sa réponse laconique, mais entière, « De l’amour », elle a ajouté un juron. « C’est sorti tout seul », avoue-t-elle au journaliste Marco Fortier dans un article du Devoir de janvier 2024.

Cela n’a pourtant rien d’étonnant lorsqu’on connaît l’amour de la femme de théâtre pour les sacres québécois. Pour elle, les sacres ne sont rien d’autre que de beaux mots colorés qui enrichissent notre langue et contribuent à notre unicité comme Québécois.

« Oui, on peut dire “l’amour, crisse”. C’est beau. Si on arrêtait de penser que les sacres, c’est quelque chose d’épouvantable? On en a toute une panoplie, et c’est joli! On est le seul pays au monde à sacrer avec des [mots religieux]. Ça nous rend uniques, très originaux, de jurer de cette façon-là. »

Mais au-delà du sacre qui l’anime, l’expression parle de l’amour. De l’amour qui se confond avec la vie, et qui teinte forcément les histoires racontées sur scène. « Pourquoi on fait [telle chose]? Pourquoi on s’embarque dans des relations? Pourquoi on veut se bonifier? Pourquoi on pleure, pourquoi on rit? C’est toujours lié à l’amour. Je crois que la vie, c’est d’abord l’amour. “Aimez-vous les uns les autres”, qu’il disait, ce personnage le plus célèbre. Il avait raison. »

« La vie, c’est formidable! »

Cette rencontre avec le public constitue indéniablement une célébration de la vie à travers celle d’une femme qui a vécu la sienne pleinement et intensément. « J’ai eu une vie mouvementée tout simplement parce que la vie a été comme ça. Je me suis retrouvée dans des situations où je pouvais ouvrir des portes, et là, j’en ouvrais une autre, parce que j’étais curieuse et que j’aimais la vie. C’est mon goût de la vie qui a orienté ma vie. Je suis en vie! »

Et cette vie est une source féconde de réflexions pour l’auteure d’India, mon amour.

« La vie c’est formidable! On a plein de possibilités, et il ne faut pas se… » Elle s’arrête soudain, consciente du ton dogmatique de ses paroles. « Il ne faut pas dire au monde “faut pas”. Vous faites tout ce que vous voulez, c’est sûr. Mais je crois qu’on a un laps de temps sur la Terre. Essayons de faire le mieux qu’on peut avec ça. »

L’actrice choisit de vivre au présent. Son côté actif et vibrant la pousse à avoir des projets, mais sa sagesse lui permet d’accepter avec sérénité que tous n’aboutissent pas : « Si ça se réalise, tant mieux; si ça ne se réalise pas, bien il y aura autre chose. »

À ses heures, son côté plus contemplatif se manifeste, et fait parfois naître de belles pensées.

« C’est un choix tous les jours d’être dans la vie, ou à côté de la vie, ou [à] observer la vie. On a toutes sortes de choix dans une journée. Moi, je peux passer des journées à juste regarder dehors, et je suis parfaitement heureuse. Je regarde le temps passer. Je trouve ça beau, moi, le temps. Je me dis “un jour, je vais finir par le voir passer, puisque je le regarde.” »

« Je suis dans la beauté des choses », affirme encore celle pour qui le sujet semble inépuisable. Quand ce ne sont pas les sacres ou le temps qui passe qui méritent son admiration, ça peut être un plafond fixé dans un moment de détresse, une journée grise, le Québec.

« On est chanceux de vivre dans un pays magnifique. On a de l’eau, on a des lacs à profusion, des rivières, la mer, les montagnes. Quel beau pays on a! Moi, je n’ai pas besoin d’aller me promener ailleurs. Pour le restant de ma vie, je vais toujours voyager dans mon pays. »

Crédit : Julie Artacho

De l’humilité à l’inspiration

Cette capacité à s’émerveiller et à éprouver de la gratitude, Louise Latraverse semble la puiser dans l’humilité qu’elle ressent face à l’immensité de l’univers.

« Ce que je vois, c’est toujours beau, parce que c’est une manifestation de la planète. Dans l’univers où on se parle, on est des petites fourmis. Je suis une petite fourmi, et je vais faire comme une petite fourmi : mon travail, mes choses. Et je vais avoir des peines, et je vais déprimer, parce que ce sont des manifestations de l’être humain. On n’est pas parfait, c’est tout! On essaye juste de faire le mieux qu’on peut avec ce qu’on a. Et tant mieux si on peut se dépasser, des fois. Mais c’est du travail! »

Et subitement, cette pensée sur le travail la ramène à une idée. « Ce ne sont pas des sciences infuses, les gens qu’on admire et tout ça. C’est parce qu’ils s’arrêtent et qu’ils travaillent », réfléchit-elle tout haut, soucieuse de souligner l’importance des efforts et de la constance, elle qui, à 83 ans, continue de gagner sa vie.

Et dans la spontanéité du moment, on aura finalement droit à une petite histoire.

« Michel Tremblay, il écrit tous les jours. Toute sa vie, il a écrit de neuf heures du matin à midi. C’est lui qui a été mon maître, quelque part. Parce que je le voyais… on était à Key West, des fois, avec des amis, dans sa maison, et nous autres on bardassait le matin. Et lui, de 9 h à midi, la porte de son bureau était ouverte, et il écrivait. Il ne se laissait pas déranger par nous autres. Des fois, il nous répondait. Il nous entendait dire des niaiseries, il riait, et il continuait d’écrire. Il a écrit une œuvre parce qu’il a travaillé tous les jours. »

Si le dramaturge a inspiré Louise Latraverse, la comédienne, elle, souhaite également susciter des réactions et des réflexions chez ceux qui se déplacent pour venir l’entendre. Elle aimerait bien que ses récits incitent les spectateurs à observer aussi leur propre vie, et à « lui rendre hommage ».

« C’est beau la vie, c’est tout. Ce que je raconte, moi, c’est moi, mais eux aussi ils en ont des histoires. Et s’ils ont envie de les écrire, qu’ils les écrivent! C’est ça que je veux propager. Parce que la vie, c’est une grande richesse! »

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Pour tous les renseignements sur le spectacle L’amour crisse et l’achat de billets, visitez le site Web des productions Martin Leclerc.

La comédienne est active sur les réseaux sociaux. On peut la suivre sur Facebook sous son nom.