Dans les dernières années, plusieurs campagnes de sensibilisation aux problèmes de santé mentale ont vu le jour au Québec. Cependant, plusieurs aînés ont encore de la difficulté à parler de stress, d’anxiété, de dépression ou de suicide. Voici un portrait de la situation.

Un ennemi invisible

Ce n’est pas parce qu’un aîné est à la retraite qu’il vit dans un environnement exempt de stress et d’anxiété.

Selon le Dr Sébastien Grenier, psychologue, chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire de Gériatrie de Montréal (CRIUGM) et professeur agrégé sous octroi au Département de psychologie de l’Université de Montréal, les personnes âgées peuvent vivre de nombreuses situations stressantes et anxiogènes.

Il y a d’abord les événements plus négatifs, comme les pertes d’audition, de mobilité ou de mémoire, ou encore les deuils d’êtres chers qui apportent leur lot de bouleversements. Même certains événements positifs, comme un déménagement ou la naissance d’un petit-enfant, peuvent aussi être une source de stress et d’anxiété importante pour les aînés. 

« Imaginez un élastique. Chaque fois qu’une personne âgée vit un changement (positif ou négatif), son élastique s’étire. À force d’étirer son élastique, il finit par éclater. L’élastique qui éclate, c’est souvent le début de l’anxiété et de la dépression », explique le Dr Grenier, également directeur du Laboratoire d’Étude sur l’Anxiété et la Dépression gÉRiatrique (LEADER).

Cela dit, nous avons tous notre propre élastique. Chez certains individus, il a tendance à devenir un peu plus fragile avec l’âge, alors que chez d’autres, le temps ne semble avoir eu aucun effet.

Anxiété ou dépression?

Certaines personnes mettent anxiété et dépression dans le même panier. Pourtant, les deux concepts ne sont pas identiques et nécessitent des interventions différentes.

Tout d’abord, une femme ou un homme souffrant d’anxiété se projette dans le futur. Ainsi, une personne anxieuse pourrait penser de cette façon : « Si je sors de chez moi, je vais tomber et me fracturer la hanche. Je vais ensuite me retrouver à l’hôpital et je vais finir par mourir. »

Au contraire, une personne déprimée a tendance à vivre dans le passé. Elle ne cesse de se dévaloriser en se comparant à celle qu’elle était autrefois. Par exemple, une personne âgée pourrait dire qu’elle n’est plus aussi douée qu’avant pour faire la cuisine ou le ménage.  

Dans les cas de dépression, d’autres symptômes cliniques peuvent aussi être observés, comme de la tristesse, de l’irritabilité, une perte d’intérêt envers les activités pratiquées auparavant, un sentiment de fatigue et la perte de concentration. La personne déprimée peut même ressentir des symptômes d’anxiété.

En effet, même si certaines personnes âgées peuvent vivre seulement avec l’une ou l’autre de ces détresses psychologiques, il n’est pas rare que d’autres doivent composer avec les deux à la fois.

Reconnaître les signes

Certains aînés qui vivent des situations difficiles ont tendance à tout garder pour eux, que ce soit par orgueil ou encore pour éviter de déranger les autres. Alors, comment savoir si un parent ou un ami a besoin d’aide?

Selon le Dr Grenier, il faut porter attention à tout changement de comportement. « Les proches me disent souvent : “Je ne reconnais plus mon père de 85 ans. C’est quelqu’un qui parlait beaucoup avant, maintenant il parle peu. Il est plus isolé et il se sent triste. Je l’ai même surpris à pleurer, la dernière fois.” Ce sont là des indices que ça ne va pas très bien », affirme le psychologue et chercheur.

Si vous constatez qu’une personne de votre entourage a effectivement besoin d’aide, le défi suivant sera de l’encourager à aller en chercher. L’un des trucs du Dr Grenier est d’essayer de normaliser son expérience. « Qu’on ait 20 ou 25 ans, 40 ans ou 95 ans, on peut souffrir de dépression ou d’anxiété. Personne n’est à l’abri de ça, ce n’est pas un signe de faiblesse. Au contraire, notre corps nous avertit que quelque chose ne va pas bien, qu’on a besoin d’aide présentement, d’un coup de pouce. »

Le suicide chez les aînés

Si les suicides sont surtout observés chez les 45 à 64 ans et les jeunes adultes, le problème existe aussi chez les personnes plus âgées. Au Québec, de 140 à 180 aînés environ s’enlèvent la vie, chaque année.

Mais pourquoi les personnes âgées décident-elles de passer à l’acte? En fait, les causes de suicide sont assez semblables à celles des adultes plus jeunes. On retrouve notamment la dépression, le désespoir et le découragement, selon le Dr Grenier.

« Le suicide, c’est une absence de solution. C’est comme si la personne avait tout repassé dans sa tête comme solutions potentielles pour régler le problème, et qu’elle ne voit pas autre chose que le suicide. »

Nous n’avons pas encore les chiffres issus de la pandémie, mais le psychologue confie qu’il a déjà dû intervenir à distance dans des maisons de retraite où une personne âgée s’était suicidée : « Ça a créé une onde de choc chez les voisins. »

Reconnaître les signes précurseurs du suicide

Reconnaître qu’une personne a des tendances suicidaires n’est pas toujours facile. Certains aînés n’hésitent pas à parler de leurs idées noires, mais ce n’est pas le cas de tous.

Si vous croyez qu’un de vos proches pense à mettre fin à ses jours, le Dr Grenier suggère de lui poser directement la question : est-ce que tu as des idées suicidaires?

« Ce n’est pas parce qu’on pose la question qu’on va pousser la personne au suicide. Au contraire, ça permet de briser la glace et d’aller chercher des ressources pour qu’elle se fasse aider », ajoute le psychologue.

Les ressources

Il y a plusieurs ressources pour les personnes âgées souffrant de problèmes de santé mentale.

« Il y a des lignes d’écoute comme Tel-Aînés, l’équivalent de Tel-Jeunes pour les personnes âgées de 60 ans et plus, et le service de référence de l’Ordre des psychologues du Québec », indique le Dr Grenier.

Il existe également des services au privé. Contrairement à la croyance populaire, consulter un psychologue ne force pas à suivre une thérapie jusqu’à la fin de ses jours, ce qui pourrait coûter des milliers de dollars. « 50 % des gens que je vois présentement, des personnes très âgées, c’est maximum trois rencontres. Elles ont seulement besoin d’avoir quelques trucs, quelques points de repère pour se sentir mieux. Un autre 50 %, ce sont plus des suivis à moyen et à long terme qui prennent généralement de 10 à 15 rencontres », assure l’expert.

Certains pourraient aussi être tentés de recourir à la médication. Le Dr Grenier met toutefois en garde les aînés contre les antidépresseurs et les anxiolytiques, qui ont beaucoup d’effets secondaires indésirables. « Ce n’est pas nécessairement le traitement à privilégier chez les plus âgés. Ce serait mieux de les encourager à suivre une psychothérapie », avance-t-il.

Maintenir une bonne santé

Pour diminuer les risques de souffrir de problèmes de santé mentale en vieillissant, le Dr Grenier suggère de maintenir une bonne santé physique et cognitive.

En effet, les trois types de santé (mentale, physique et cognitive) sont interreliés. Par exemple, une douleur physique peut nuire au bon moral. « L’idée en vieillissant, c’est d’essayer de maintenir […] une bonne santé partout », précise le chercheur. Bouger et faire de l’exercice sont d’ailleurs de bons moyens d’éloigner les problèmes de santé.

De plus, le Dr Grenier recommande aux aînés de faire une activité qui leur permet de se sentir utiles dans la journée. « On n’est pas obligé de réinventer la roue. […] Pour certains, c’est du bénévolat; pour d’autres, des activités sportives, ou encore de la lecture, de la peinture. Tant qu’on se sent utile, ça nous maintient en vie. »

Les ressources d’aide en santé mentale

Ligne d’écoute Tel-Aînés
514 353-2463

Ordre des psychologues du Québec
514 738-1223 ou 1 800 561-1223

Clinique Bien Vieillir
(services psychologiques pour les 50 ans et plus)
2075, avenue Victoria, bureau 205
Saint-Lambert (Québec)  J4S 1H1
438 771-4749